01H43 et je n’arrive pas à dormir. Le ventre noué je me demande si j’ai faim ou si je suis juste stressée. Ou non, en colère.
La lumière tamisée du salon me rappelle que je ferais mieux d’aller me coucher. Impossible. Besoin d’écrire, de me vider la tête de ce supplice, du pus de l’injustice. Pour poser des mots sur ce qui me grignote les entrailles, avant que les maux ne me rongent.
Aujourd’hui, j’ai pris un coup de massue. Le genre qu’on ne voit pas venir. Je l’ai sentie écraser mon coeur et dissiper son amère douleur dans mon corps tout entier. Comme une sensation de fourmis, tout s’est rétréci. Et c’est resté, ici, dans la poitrine.
Pas de pansement ni de service d’urgence pour ce genre de plaies.
Je suis là, dans mon salon, gisant dans une marre de sang invisible sans personne pour éponger. Pas de numéro à composer, pas de volontaire pour échanger.
Assommée par le choc j’essaie de me focaliser sur des faits, être rationnelle, rembobiner le fil de ma mémoire, trouver des suites logiques à ce qui n’en a pas.
– Pourquoi ?
– Comment ?
– Et la suite ?
Le diagnostic est tombé : blessure d’injustice.
« Encore toi ?! Ce n’est pas la première fois.
Je n’en peux plus de tes récidives.
Franchement, t’es pas fatiguée de me harceler ?
T’as pas autre chose à foutre ou quelqu’un d’autre à visiter ? ».
À cette heure-ci j’ai abandonné tous mes beaux principes d’altruisme. Faudra-t-il que je plonge dans un coma artificiel pour supporter cette réalité ? Faudra-t-il que je porte le masque de la rigidité pour cacher mes sentiments ? Je suis déjà super entraînée pour le traditionnel « ça va, hum hum, im-pec ! ». Le truc c’est d’avoir toujours une question d’avance dans sa tête : « et sinon t’as prévu quoi ce week-end ? ». Mouais…
Mais ça, c’était avant. Avant que je m’autorise à ressentir. Avant que je dise stop au paraître. Avant que je lâche prise et que j’ose demander de l’aide. Avant que je respecte mes limites et que j’arrête d’être parfaite.
« Barre-toi, parasite. J’en ai marre d’être prise au piège comme un chien à son collier.
Quoi ? Ça ne t’a pas suffit ? T’en veux plus ? Tu veux quoi, hein ?
Vas-y, dis-moi qu’on en finisse ! »
Saleté de blessure émotionnelle.
Elle trouve toujours le moyen de se faufiler en douce. Comme un cancer, elle te bouffe tout à l’intérieur. Elle coupe en toi les fils de l’amour inconditionnel et te câble pour la méfiance, le jugement, la jalousie, la dévalorisation et le perfectionnisme. Droit comme un J tu relèves la tête et fait mine de rien. Tout est sous contrôle. Jusqu’au jour où le burn-out pointe le bout de son nez. Un douillet nuage d’épuisement total. Et puis ce bip qui sonne. Bip… Bip… Bip…
Comme les battements d’un coeur qui redémarre tu te surprends à y croire. Faux espoirs. Ce n’est que le son du code barre de cette blessure, qui passe à la caisse de tes achats. « Et euh, non, c’est pas à moi cette chose ?! » Trop tard, maintenant que c’est dans ton panier, il va bien falloir en faire quelque chose. « Y’a pas quelqu’un qui voudrait me le racheter ? Même pas, c’est gra-tuit ! Qui veut ? »
- Qu’est-ce qui se trouve en trop dans votre caddie ?
- Qu’est-ce qui est lourd sur votre coeur ?
- Qu’est-ce qui est injuste ?
Dans la famille de l’injustice, je voudrais…
« C’est injuste que je sois en retard à cause d’un autre.
C’est injuste que cette personne ne fasse pas ce qu’elle dit.
C’est injuste qu’une ancienne collègue ait parlé dans mon dos.
C’est injuste que cette amie ne m’adresse plus la parole.
C’est injuste que ce concurrent me copie.
C’est injuste que je paye plus d’impôts.
C’est injuste que mon employeur me refuse cette demande.
C’est injuste que je m’occupe toujours des couches.
C’est injuste que je n’ai pas de vacances.
C’est injuste que je sois célibataire.
C’est injuste que cette personne ne passe pas un coup de fil.
C’est injuste que celle-ci ne reconnaisse pas ses torts.
C’est injuste que je paye pour les fautes des autres.
C’est injuste qu’après 2h de shopping je n’ai toujours pas une tenue.
C’est injuste que ça semble si facile pour elle.
C’est injuste qu’il voyage pendant que je trime au foyer.
C’est injuste d’être forcément dans la file d’attente la plus lente.
C’est injuste de travailler plus pour des brouettes.
C’est injuste de me coltiner toujours le ménage.
C’est injuste que ce rdv me pose un lapin.
C’est injuste que je fasse le premier pas ».
Bref, c’est in-juste ! Vous vous reconnaissez ?
Alors, on fait quoi maintenant ?
On finit aigries à en vouloir à la terre entière ?
On ne lutte pas contre la chair et le sang.
Le véritable combat ne se déroule pas sur les champs de bataille mais à l’intérieur de nous-mêmes. Peu importe ce que les gens ont glissé en douce sur le tapis de nos courses, nous sommes responsables de ce que l’on stocke dans les placards de nos coeurs et de ce que l’on se met sous la dent de nos pensées. Si nous ne nous en occupons pas, c’est tout ce que nous aurons à offrir à la table de nos convives. Comme la peste, cela se propagera en une épidémie générale.
C’est tous ceux qui nous sont chers, qui justement prendront cher !
Ne plus être une victime.
On fait comment pour ne plus souffrir ?
D’abord, on prend conscience de sa blessure.
On laisse tomber son masque de rigide.
On s’autorise à souffrir et ressentir.
On accepte de demander de l’aide.
On délègue. Certes, ce ne sera pas parfait, mais au moins ce sera fait.
On respecte ses limites et on apprend à dire « non ».
On arrête de se justifier pour tout et on favorise les moments de détente.
On parle, on écrit, on chante, on vide, on trie ses pensées.
On (se) pardonne et on remplace ses exigences par des préférences.
On se parle avec bienveillance et respect.
On prend la responsabilité de son bonheur.
On fait confiance à ce plus grand que soi qui habite l’univers.
On regarde au delà des circonstances.
On visualise un avenir où tout est possible.
On écrit sur les murs à l’encre de nos veines* : « je suis libre ».
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