Aujourd’hui, j’ai tué mon Juge…
Avec sa petite voix intérieure, dictant la marche à suivre sur un ton autoritaire, il avait fini par me hanter. « Une, deux, une, deux », telle une marche militaire, surtout ne pas sortir du rang et garder la cadence, « plus vite, encore plus vite, toujours plus vite », portant fièrement l’étendard des 3P « Productivité – Performance – Perfection » !
Ce juge m’imposait un chemin tout tracé, bien droit du point A au point B, nécessairement la suite logique et rien de moins que de succès en succès, au risque de passer à côté de ces beaux paysages escarpés, ceux que l’on découvre en s’autorisant à errer, en se perdant parfois pour mieux se retrouver, en empruntant hors des sentiers battus de nouveaux trajets…
Ce juge qui milite pour la Justice avec une balance faussée : indulgent et élogieux pour les autres, intraitable et réprobateur quand il s’agit de moi sur le banc des accusés.
Ce juge qui hisse le standard au rang de l’Exemplarité : plus qu’une simple justiciable, il exigeait de moi d’être rien de moins qu’un Modèle – droite, carrée, lissée… dévitalisée.
Bref, il faisait la loi. Sous son régime, la perfection est norme suprême, le « à peu près » hautement répréhensible, les circonstances atténuantes inexistantes.
Un juge à charge qui avant même l’enquête de personnalité, m’avait déjà noirci le portrait.
Le jugement est hâtif, le verdict automatique, la sentence prévisible : « coupable d’imperfection ! ».
On m’a dit que ce juge se voulait le porte-parole d’une blessure de l’âme : la blessure d’injustice. C’est elle qui exprimerait cette quête de l’ordre et de la justice dont je me devrais d’être une digne représentante…
Fidèle à mes valeurs, j’ai d’abord voulu respecter sa liberté d’expression. Sauf que très vite, il prenait la parole sans y être invité exprimant un jugement sur tout, refusait de s’astreindre à son temps de parole, balayait toute contre-argumentation étayée à coup d’invectives « Incapable ! », « Illégitime ! ». Je lui avais laissé un droit de parole et je me retrouvais privée de tout droit de réponse…
Alors j’ai voulu le faire taire, mais il redoublait de volume. D’abord entêtant comme un chant de propagande communiste, puis plus pernicieux, il était parvenu à s’immiscer par messages subliminaux jusqu’au centre névralgique.
Il était si intériorisé que je n’arrivais plus à distinguer le vrai du faux, le « Moi » du « Lui ». Plus que blessée, il m’avait véritablement aliénée, touchée au cœur de mon identité.
À force d’être pressée par le diktat du « bien faire », je m’étais réfugiée en sécurité dans le « rien faire ». Prise au piège de sa dictature, je l’entendais ricaner « Tu vois, je te l’avais bien dit, incapable ! ».
N’en pouvant plus, j’ai pris mon courage à deux mains…
Je plaide la légitime défense : c’était Lui ou Moi.
Johanna
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